Ces dernières années, plusieurs rapports institutionnels – nationaux et internationaux – ont documenté les évolutions, tensions et perspectives du lien entre science et société.
Ces rapports sont listés ci-dessous et feront l'objet d'une attention particulière tout au long de la Convention. Ils témoignent d’une volonté croissante de multiples institutions d’ouvrir la recherche à la société civile, de renforcer la transparence scientifique, et de réinterroger les finalités et modalités de la production de savoirs.
En somme, ces travaux antérieurs convergent vers une même exigence : repenser les relations entre science et société autour de principes d’ouverture, de responsabilité, de collaboration et de reconnaissance mutuelle.
L’enjeu n’est plus uniquement de vulgariser ou d’expliquer, mais de co-construire, d’impliquer et de transformer, dans un contexte marqué par les urgences climatiques, sociales et démocratiques.
Ces éléments servirons de point de départ pour la réflexion des participants de la Convention.
Le rapport de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR), publié en mars 2021, dresse un bilan détaillé des actions menées par les universités et écoles françaises pour renforcer les liens entre science et société. Fondé sur l’analyse de 590 initiatives déclarées par 48 universités et 11 écoles, il révèle une diversité d’approches mais aussi des déséquilibres structurels. Les actions se répartissent en trois catégories : la diffusion des connaissances (60%), souvent limitée à des formats traditionnels comme les conférences ou les supports numériques, la médiation scientifique (32%), qui cherche à créer des interactions directes avec le public via des festivals, ateliers ou interventions scolaires, et les sciences participatives (8%), encore marginales malgré leur potentiel d’innovation. Si les établissements montrent un engagement certain, notamment envers les publics scolaires et les territoires, leurs actions manquent souvent de coordination stratégique, de reconnaissance institutionnelle et d’outils d’évaluation pour mesurer leur impact réel. Par exemple, les projets de médiation, bien que nombreux, peinent à s’inscrire dans une politique globale, tandis que les sciences participatives restent cantonnées à des initiatives ponctuelles, freinées par des défis organisationnels et culturels.
Le rapport met en lumière l’émergence d’une "fonction science-société" au sein des établissements, mais souligne sa fragilité. Certains, comme l’Université Grenoble-Alpes ou Sorbonne Université, ont su structurer des dispositifs pérennes (vice-présidences dédiées, partenariats avec des CCSTI, budgets spécifiques), tandis que d’autres agissent de manière dispersée, dépendant largement de l’engagement individuel des chercheurs ou des enseignants. Parmi les bonnes pratiques, on note des collaborations territorialisées (ex. : festivals locaux comme Alsasciences), des résidences art-science, ou des programmes de formation des enseignants (ex. : Maisons pour la Science). Cependant, ces initiatives souffrent souvent d’un manque de visibilité et d’une faible articulation avec les missions centrales de recherche et de formation. Les auteurs pointent également un défaut de ciblage : les actions touchent rarement les décideurs locaux, les médias ou les acteurs économiques, pourtant clés pour amplifier l’impact social des connaissances scientifiques.
Pour remédier à ces limites, le rapport propose des pistes concrètes pour professionnaliser et institutionnaliser ces démarches. À court terme, il recommande de renforcer la formation (médiatraining pour les chercheurs), d’améliorer l’évaluation des actions, et de valoriser les engagements (via des open badges ou des équivalences de service). À moyen terme, il suggère la création d’un label "R2S" (Relation Science-Société) pour les établissements exemplaires, inspiré de modèles comme le programme québécois Engagement, qui privilégie la co-construction avec la société civile. L’enjeu est de passer d’une logique de vulgarisation descendante à une relation symétrique, où les citoyens deviennent des acteurs à part entière de la production et de la diffusion des savoirs. Enfin, le rapport appelle à une meilleure intégration de ces enjeux dans les stratégies des établissements, en s’appuyant sur les leviers offerts par la Loi de Programmation de la Recherche (2020) et les financements de l’ANR, pour faire de l’ouverture à la société un pilier de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Le rapport de l’UNESCO présente un cadre international normatif pour promouvoir la science ouverte, définie comme un modèle inclusif visant à rendre les connaissances scientifiques accessibles, réutilisables et collaboratives pour tous, sans barrières géographiques, économiques ou disciplinaires. Ce projet s’inscrit dans un contexte marqué par des défis mondiaux (changement climatique, pandémies, inégalités) et la nécessité de démocratiser l’accès aux résultats de la recherche, notamment pour les pays en développement. La recommandation s’appuie sur des valeurs fondamentales : qualité et intégrité scientifique, équité (réduction des fractures numériques et cognitives), diversité (reconnaissance des savoirs autochtones et des langues minoritaires), et collaboration entre acteurs académiques, citoyens et secteurs privé/public. Elle propose une définition large de la science ouverte, incluant non seulement les publications et données en libre accès, mais aussi les logiciels libres, les matériels ouverts, les ressources éducatives libres (REL), et les processus participatifs (science citoyenne, co-création avec la société). Le texte souligne l’urgence de réformer les pratiques scientifiques pour les aligner sur les enjeux du XXIᵉ siècle, en s’appuyant sur des infrastructures ouvertes, des licences adaptées (ex. : Creative Commons), et des normes interopérables (principes FAIR et CARE).
Pour concrétiser cette vision, le rapport identifie sept domaines d’action prioritaires pour les États membres. Il recommande d’abord de créer un environnement politique favorable, en intégrant la science ouverte dans les stratégies nationales de recherche et en adaptant les cadres juridiques (droit d’auteur, propriété intellectuelle) pour faciliter le partage des connaissances. Un accent particulier est mis sur le financement durable des infrastructures ouvertes (entrepôts de données, plates-formes collaboratives, réseaux de recherche), avec une attention aux inégalités Nord-Sud (ex. : partenariats Sud-Sud, accès équitable aux technologies). Le renforcement des compétences (formation à la gestion des données, éthique, outils numériques) et la reconnaissance des pratiques ouvertes dans les carrières scientifiques (ex. : évaluation des chercheurs incluant la médiation ou la collaboration citoyenne) sont également centraux. Le rapport propose aussi des mesures incitatives, comme la réforme des systèmes d’évaluation (moins dépendants des facteurs d’impact des revues) ou la valorisation des contributions non académiques (ex. : science participative). Enfin, il encourage l’innovation méthodologique (évaluation par les pairs ouverte, partage des résultats négatifs) et une coopération internationale renforcée, notamment via des mécanismes de financement communs et des réseaux d’échange de bonnes pratiques.
Le texte insiste sur la nécessité d’un suivi rigoureux pour garantir l’efficacité des politiques de science ouverte, en évitant les effets pervers (ex. : exploitation commerciale des données publiques, exclusion des chercheurs précaires). Les États membres sont invités à mettre en place des indicateurs qualitatifs et quantitatifs pour mesurer les progrès, en impliquant tous les acteurs (chercheurs, institutions, société civile) dans une gouvernance transparente. La recommandation appelle à une transition culturelle profonde : passer d’une science élitiste et compétitive à un modèle collaboratif et responsable, où la reproductibilité, la transparence et l’impact social priment. Elle souligne aussi l’importance de protéger les savoirs autochtones et de lutter contre la désinformation, en s’appuyant sur des mécanismes de validation collective. En conclusion, ce cadre normatif ambitionne de faire de la science ouverte un levier pour atteindre les Objectifs de Développement Durable (ODD), en réduisant les inégalités et en renforçant la confiance dans la science. Sa mise en œuvre dépendra cependant de l’engagement politique, financier et culturel des États, ainsi que de leur capacité à concilier ouverture et protection des droits (propriété intellectuelle, vie privée, éthique).
Le rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) aborde la question de l’intégrité scientifique en France, dans un contexte marqué par des affaires médiatisées de méconduites (fraudes, plagiat, falsification de données). Plutôt que de se concentrer uniquement sur les comportements individuels, les rapporteurs analysent les dysfonctionnements systémiques du monde de la recherche qui favorisent ces dérives : pression à la publication, critères d’évaluation inadaptés, et course aux résultats positifs. Le rapport souligne que, si la majorité des chercheurs français sont vertueux, l’environnement actuel (financement compétitif, culture de la performance) peut encourager des pratiques douteuses. Il dresse un état des lieux des acteurs et des textes encadrant l’intégrité scientifique en France, notamment depuis la création de l’Office français de l’intégrité scientifique (OFIS) en 2016 et du réseau des référents intégrité scientifique (RIS) dans les établissements. Ces structures, bien que robustes, peinent à harmoniser les procédures de traitement des manquements et à garantir une transparence totale, notamment en raison de la diversité des pratiques entre institutions.
Le rapport identifie quatre enjeux majeurs pour renforcer l’intégrité scientifique. Premièrement, améliorer le traitement des méconduites : bien que les procédures d’instruction soient globalement solides, elles gagneraient en uniformité et en respect du contradictoire, avec une meilleure assistance juridique pour les chercheurs mis en cause. Deuxièmement, développer une culture commune de l’intégrité via la formation (étendue à tous les chercheurs, pas seulement aux doctorants) et la sensibilisation, en s’appuyant sur des initiatives locales comme les serments d’intégrité ou les chartes éthiques. Troisièmement, réformer les critères d’évaluation de la recherche, aujourd’hui trop centrés sur la quantité de publications et les facteurs d’impact, qui poussent à des comportements contre-productifs. Enfin, le rapport insiste sur la nécessité de créer un environnement favorable à l’intégrité, en impliquant tous les acteurs (financeurs, éditeurs, évaluateurs) et en décentrant le regard : les chercheurs ne sont pas les seuls responsables, les institutions et les tutelles (comme le MESRI) doivent aussi être interrogées sur leur rôle dans la pression systémique subie par la communauté scientifique.
Pour répondre à ces défis, le rapport formule dix recommandations concrètes, dont certaines ont déjà été intégrées dans la Loi de programmation de la recherche (LPR) 2021-2030. Parmi les propositions phares : inscrire une définition légale de l’intégrité scientifique dans le code de la recherche (réalisé via l’article 16 de la LPR), généraliser la formation tout au long de la carrière, et renforcer l’indépendance et les moyens de l’OFIS. Le rapport préconise aussi de réformer l’évaluation de la recherche en s’inspirant de la Déclaration de San Francisco (DORA) pour moins dépendre des métriques quantitatives, et d’intégrer l’intégrité scientifique dans les missions du Hcéres. Une attention particulière est portée à la science ouverte, perçue comme un levier pour transparence et reproductibilité, à condition de définir des normes claires d’archivage et de partage des données. Enfin, les rapporteurs soulignent l’importance de mieux articuler les acteurs (OFIS, CoFIS - Collège des Formations à l’Intégrité Scientifique, RIS) et de soutenir les initiatives locales (ex. : universités pionnières), tout en évitant une judiciarisation excessive des affaires de méconduite. Le rapport se conclut sur un point de vigilance : la nécessité de garantir l’indépendance de l’OFIS et de clarifier son rôle face au CoFIS, pour éviter les conflits d’intérêts et renforcer sa légitimité.
Le rapport souligne la nécessité de renforcer la reconnaissance du doctorat dans les entreprises et la société française, face à un décalage persistant entre la perception du diplôme et sa valeur réelle. Malgré des transformations majeures ces dernières décennies (harmonisation européenne, augmentation des financements, amélioration des conditions de thèse), la France reste en retrait par rapport à d’autres pays de l’OCDE : seulement 1 % des 25-34 ans sont titulaires d’un doctorat (contre 1,3 % en moyenne OCDE), et les docteurs ne représentent que 11 % des chercheurs en entreprise. Le doctorat souffre d’une image stéréotypée, perçu comme un diplôme principalement académique, alors que les débouchés se diversifient (R&D, secteurs innovants, etc.). Les auteurs identifient quatre objectifs clés : augmenter la part de docteurs en entreprise, fluidifier leur insertion professionnelle, rehausser la perception du diplôme, et mieux valoriser leurs compétences pour l’économie.
Pour répondre à ces défis, le rapport propose des mesures ambitieuses. D’abord, créer un "Indice d’intensité doctorale" (I²Doc) pour inciter les entreprises à identifier et valoriser les docteurs dans leurs effectifs, notamment parmi les cadres et dirigeants. Ensuite, lancer une plateforme nationale du doctorat, inspirée des modèles allemand ou américain, pour centraliser les données sur l’emploi des docteurs, informer les étudiants et les employeurs, et promouvoir les carrières hors académique. Le rapport suggère aussi de réformer le Crédit d’Impôt Recherche (CIR) pour mieux reconnaître le doctorat comme un gage de compétence en R&D, et de systématiser des périodes d’immersion professionnelle (stages, césures) dans le cursus doctoral. Enfin, il préconise de renforcer les liens entre écoles d’ingénieurs et doctorat, via des parcours pré-doctoraux et des annuaires nationaux des encadrants de thèse, pour attirer davantage d’ingénieurs vers la recherche.
Le rapport insiste sur la nécessité de mieux associer les entreprises à la formation doctorale, en créant des conseils transversaux (au niveau des établissements) pour adapter les cursus aux besoins des secteurs d’emploi. Il propose de développer la formation tout au long de la vie (notamment pour les ingénieurs en poste) et de lever les blocages administratifs (ex. : assouplir les règles des CIFRE ou des conventions COFRA pour les fonctionnaires). Pour changer les mentalités, les auteurs recommandent de mettre en avant des "ambassadeurs du doctorat" (docteurs aux parcours variés) et d’organiser un rendez-vous annuel grand public (ex. : une "Journée européenne du doctorat"). L’objectif est de dépasser les clichés (docteurs "trop académiques" ou "inadaptés à l’entreprise") et de montrer que leurs compétences (expertise, résolution de problèmes complexes, créativité) sont un atout pour l’innovation et la compétitivité.
Les sciences et recherches participatives (SRP) visent à associer des acteurs de la société civile, publics ou privés, à la production de connaissances et d’innovations scientifiques, en réponse aux crises (climatiques, sanitaires, sociales) et aux transitions (alimentaires, énergétiques, environnementales). Portées par un intérêt croissant en Europe et en France, notamment via des programmes comme Horizon 2020 ou la Loi de Programmation de la Recherche, ces approches s’inscrivent dans une dynamique d’ouverture de la science, formalisée par la Charte française des sciences participatives (2017). Pour l’INRAE, les SRP ne remplacent pas les méthodes traditionnelles, mais les complètent en mobilisant des savoirs locaux et expérientiels, tout en renforçant l’impact sociétal et l’appropriation des résultats. Elles permettent de co-construire des solutions ancrées dans les réalités territoriales, tout en posant des défis comme la généralisation des résultats ou l’inclusion de tous les publics concernés.
Le rapport souligne trois atouts majeurs des SRP : l’élargissement des connaissances (grâce à des données issues du terrain et à des questionnements innovants), l’impact sociétal et éducatif (renforcement de la culture scientifique, engagement civique, et légitimité des solutions), et l’accélération des transformations (via des dispositifs comme les living labs ou les tiers-lieux). Cependant, ces démarches exigent une gouvernance rigoureuse pour éviter l’instrumentalisation de la participation ou les déséquilibres entre acteurs. L’INRAE met en avant leur pertinence pour aborder des enjeux complexes, comme les Objectifs de Développement Durable (ODD), en s’appuyant sur des méthodes d’évaluation comme ASIRPA pour mesurer leurs effets scientifiques, économiques et sociaux.
La stratégie de l’INRAE repose sur six objectifs clés : coordonner les acteurs internes (via un réseau de correspondants et une gouvernance clarifiée), déployer des services d’appui (formations, outils méthodologiques, financement), développer les compétences des chercheurs et des partenaires, créer des outils adaptés (bibliothèques numériques, communs), soutenir l’implication des non-académiques (par des partenariats équilibrés et inclusifs), et valoriser les SRP (communication, reconnaissance dans les évaluations, intégration aux instances stratégiques). L’institut vise ainsi un déploiement ciblé et qualitatif, en s’appuyant sur une éthique réflexive et une approche transdisciplinaire, pour ancrer durablement ces pratiques dans sa feuille de route scientifique et sociétale.